#OnceUponATime
fr
Moul Ndader
Ils seraient bizarres ces titres en français, non ? La notion de 'moul' est ancrée dans la culture marocaine, ça exprime un peu l'esprit de possession, relève l'importance du travail et la liaison sociale entre la personne et son métier: oui on vous juge selon ce que vous faîtes dans la vie, on se permet de préférer des métiers et de les considérer plus nobles que d'autres, mais ça c'est un autre sujet...
Il était 21h et je sortais de mon cours d'espagnol. J'emprunte toujours la même route: je sais parfaitement qu'il faut prendre la droite pour tourner à gauche pour ne pas m'éterniser, je sais qu'il faut faire semblant de prendre le raccourci souterrain pour ensuite faire un geste de la main et demander à l'automobiliste de me laisser passer -genre oups j'ai changé d'avis, je ne passe plus par là-... et je sais que de toute façon, je vais faire ce feu rouge au minimum deux fois: je me fais bien au rythme casablancais qu'en pensez-vous ?
C'est là que je l'aperçois, le fameux "moul ndader". Je ne sais pas trop si, comme moulat l pile, vous voulez qu'on lui donne un prénom, auquel cas on l'appellerait
'Mustafa' sans donner d'avantage d'explications. Il mettait un pull rouge, devenu presque rose à force d'être lavé, un jean délavé, et des bottines, vieilles certes mais devenues confortables par la force des choses. Quand je l'ai vu, il était accroupi, son corps menu en devenait presque inexistant. J'aurai pu ne pas le voir mais je n'ai pas pu l'ignorer.
'Mustafa' sans donner d'avantage d'explications. Il mettait un pull rouge, devenu presque rose à force d'être lavé, un jean délavé, et des bottines, vieilles certes mais devenues confortables par la force des choses. Quand je l'ai vu, il était accroupi, son corps menu en devenait presque inexistant. J'aurai pu ne pas le voir mais je n'ai pas pu l'ignorer.
Au début, je l'ai regardé sans importance. Et ensuite je voulais comprendre ce qu'il faisait avec toutes ces lunettes: il y avait une planche en bois et un carton à côté, je ne sais toujours pas s'il les ramassait parce qu'il avait fini ou s'il ne faisait que les étaler et commencer le travail. J'aurai opté pour cette deuxième option, mais vendre des lunettes de soleil le soir? pas très logique. Et là j'examine l'environnement, et j'essaie de faire la liaison: il est entre un bar et une banque. Qui seraient ses clients? Est-ce qu'un ivrogne aurait besoin de lunettes de soleil? pour noircir d'avantage les couleurs de sa vie peut-être? Mais tous les gens qui fréquentent les anciens bars de Casablanca ne sont pas forcément des ivrognes vous me diriez? Des amoureux de l'héritage culturel et de l'architecture de la ville, c'est ça? Qu'est-ce que j'en sais, Mustafa en sait certainement beaucoup plus que moi...
Ce que j'ai vu, pour ne pas m'inventer une histoire au risque de vous ennuyer, c'est qu'il alignait les lunettes avec une précision exceptionnelle et ça m'a marquée. Je ne sais pas si vous étiez du genre à plier une feuille en deux en utilisant les pointes et les bordures ou en vrac. Disons que c'est quelque chose que vous n'apprenez pas vraiment, il y a uniquement deux types de personnes: ceux qui sont dans le détail et ceux qui ne le sont pas. Minutieuse comme je suis, je n'ai pas raté la scène. Je me suis posée tellement de questions, changé plein de 'si' dans la vie de cet homme, mais encore comme le jour ou j'ai regardé mon ancienne prof de danse, je l'ai senti passionné: il aimait ses lunettes, son job, son petit bout de trottoir. Comme quoi il suffit parfois de peu pour être heureux, il suffit à Mustafa d'exposer/vendre ses lunettes...
Post a Comment